6 mai 1890 : Incendie de l’asile St-Jean-de-Dieu
Par André Cousineau
Le 6 mai 1890 à 11h35, un violent incendie se déclare à l’asile St-Jean-de-Dieu de Longue-Pointe, asile dirigé par les Sœurs de la Providence. L’incendie débute au troisième étage de l’édifice, dans un placard de la salle Ste-Cécile. Un premier cri d’alarme est donné par une sœur qui aperçoit une fumée abondante sortir du placard. Tout le personnel est rapidement sur pied pour agir. Les patients avaient terminé le dîner et une partie des sœurs le leur. Même si tous se trouvaient prêts à lutter contre l’incendie, il appert que celui-ci avait fait de rapides progrès. De la salle Ste-Cécile, le feu avait gagné le dôme du pavillon central, alimenté par les ventilateurs destinés à aérer les salles, puis la chapelle située dans le corps principal de l’édifice. Ce matin-là, les vents sont du nord-ouest et soufflent en direction des étages occupés par les femmes. Malgré l’aide des pompiers de Montréal des postes 7 et 8 qui arrivent à la rescousse, il devient rapidement évident que, malgré les pompes et réservoirs intérieurs que possède l’asile, la violence des flammes ne permet que de tenter de sauver les malades. Des employés, des médecins, des sœurs, des tertiaires (1) se mettent à la recherche des survivants qui tentent désespérément de fuir le bâtiment.
À 16h00, il ne reste plus que quelques pans de mur croulant et cinq ou six cheminées. Les journaux locaux parleront d’une centaine de victimes, toutes des femmes, mais le bilan sera ramené à 86 y compris cinq sœurs tertiaires qui y laisseront leur vie en tentant de sauver des malades dont plusieurs, fascinées par les flammes, ne cessent de vouloir y retourner. Ce sont, selon La Patrie, Marie Gravel, Louise Gravel, Demerise Gilbert, Lumina Bouthillier et Victoria McNichols. En plus de ceux des pompiers, des témoins racontent les exploits de plusieurs citoyens de Longue-Pointe ou d’Hochelaga qui tenteront d’arracher des malades aux flammes. Cependant, des grilles installées aux fenêtres embarrasseront les sauveteurs. Il faut mentionner M. F. Laurin, boucher de Longue Pointe. Il eut juste le temps de sortir avant que la toiture de la salle où il se trouvait ne s’effondre, les pompiers devant l’arroser pour le sauver de graves brûlures. Ajoutons les noms de M. Joseph Desève, gardien, M. E.O. Champagne, inspecteur des bouilloires, M. Richard, hôtelier d’Hochelaga, James et Jack O’Rourke, ingénieurs de l’asile et de nombreux autres sans oublier les médecins de l’asile.
Lorsque les pompiers de Montréal arrivèrent, toute la partie occupée par les femmes n’était qu’un immense brasier, l’on espérait donc préserver le côté des hommes. Malheureusement, le vent se mit à changer et bientôt les flammes attaquèrent tout l’édifice. On ne put rien sauver sauf les annexes comme la buanderie et les bâtiments de service.
Le nombre des victimes paraît lourd, mais plusieurs patients seront retrouvés errant dans les environs. On en retracera au centre-ville de Montréal et aussi loin que Terrebonne et Beauharnois. On compte également une centaine de blessés incommodés par la fumée ou brûlés à divers degrés.
Photo: BANQ, Fonds E.Z. Massicotte
L’on ne sut jamais la cause de l’incendie. Un curieux article du New York Times du 12 mai 1890 mentionne cependant que l’incendie aurait été allumé par une Irlandaise internée à St-Jean-de-Dieu. Le matin de l’incendie, elle aurait déclaré à des amis venus demander son congé: «If you do not like to get the order to-day, you need not get it at all, as there will be no asylum to-morrow.» (2)
Les 1 200 rescapés de l’incendie passeront les prochains jours dans les autres bâtiments de l’asile, heureusement épargnés par les flammes, à l’Asile St-Benoit de Longue-Pointe, dirigés par les Frères de la Charité, à la maison-mère de la Providence et à l’institut des sourdes-muettes, rue St-Denis, à la maison de campagne des Jésuites, rue Notre-Dame à Maisonneuve et également à la résidence de l’honorable Joseph-Rosaire Thibaudeau à Longue Pointe.
Le gouvernement provincial permit que l’on utilise les bâtiments de l’exposition à Montréal pour y accueillir principalement les hommes en attendant la reconstruction.
La genèse de l’asile St-Jean-de-Dieu remonte en 1873. À ce moment, l’asile de Beauport déborde de patients. Le gouvernement du Québec veut donc créer un asile dans la région de Montréal. Or, les Sœurs de la Providence possèdent des installations comme le Couvent St-Isidore à Longue-Pointe mais ne peuvent y accueillir qu’une vingtaine de patients.
Après des pourparlers entre le gouvernement et la congrégation, un acte notarié, passé devant le notaire Jean-Alfred Charlebois de Québec, est signé le 4 octobre 1873 entre Gédéon Ouimet, premier ministre du Québec et sœur Cléophée Têtu, en religion sœur Thérèse-de-Jésus, dépositaire de la Corporation des Sœurs de l’Asile de la Providence de Montréal. On peut donc considérer sœur Thérèse comme la véritable fondatrice de l’asile.
Par cet acte, les sœurs s’engageaient, pour une période de cinq ans, à compter de ce jour, à «loger et recevoir dans leur établissement pour le district de Montréal des personnes idiotes de l’un et l’autre sexe, qui pourraient leur être confiées par le gouvernement, de les nourrir, vêtir, entretenir…». (3)
Déjà à la fin octobre et au début novembre, des patients arrivent de St-Jean de Dorchester et de Beauport. Il faut donc les loger. La communauté décide donc de louer les casernes d’Hochelaga, inoccupées depuis 1870. Elles comprennent l’ancien hôpital militaire, le mess des officiers et la prison militaire. Cette dernière a l’avantage de posséder des cellules dont on peut se servir pour les malades. On prend possession du nouveau local le 7 novembre 1873. On y transféra les patients de sexe masculin soignés au couvent St-Isidore. On y soigna jusqu’à 1 200 patients. Les sœurs de la Providence connaissaient bien ces casernes pour y avoir soigné les Irlandais atteints du choléra durant la grande épidémie de 1847-48.
Les soeurs possédaient un grand terrain à Longue-Pointe, la terre Vinet. En 1868, le curé de Longue-Pointe, Jean-Baptiste Drapeau, leur avait fait don de cette terre de 166 arpents, achetée grâce à un don d’une généreuse bienfaitrice. C’est sur une partie de cette terre que sera construit le nouvel asile.
Sous la direction de sœur Thérèse, la communauté se lança dans la construction d’un nouvel asile sans donations, subventions ou souscriptions. Le problème maintenant était le suivant : quel plan adopter? Sœur Thérèse entreprit un voyage en Ontario et aux États-Unis en compagnie de sœur Godefroy, qui lui succéda à St-Jean-de-Dieu en 1891, et Benjamin Lamontagne, architecte, afin de visiter des établissements destinés à des patients atteints de maladies mentales. À la suite de ce voyage, on adopta un plan semblable, sauf quelques légères modifications, au Mount Hope Retreat à Baltimore, asile terminé en 1870 et dirigé par les sœurs de la Charité. Les travaux commencèrent en avril 1874 et furent terminés en l’espace de seize mois. Le 20 juillet 1875, on pouvait commencer le transfert des premiers patients au nouvel hôpital.
Source: L’Opinion publique, 20 août 1874, BANQ, Collection numérique
Dans un rapport de 1881 de sœur Thérèse, nous retrouvons une longue description du nouveau bâtiment : le corps principal du bâtiment avait 160’ x 60’ (48,7m x 18,2m); il était uni par deux ailes de chacune 90’ x 40’ (27,4m x 12,1m) à deux autres parties de 120’ x 45’ chacune (36,5m x 13,7m). Les ailes avaient chacune cinq étages, y compris le rez-de-chaussée et les mansardes, tandis que les trois autres corps avaient, avec le rez-de-chaussée et les mansardes, six étages.
Le nombre de pièces est considérable : en plus des parloirs, de la pharmacie, de la chapelle et de la cuisine sur deux étages, des infirmeries, il comprend 79 chambres privées, 27 salles, 23 réfectoires, 51 dortoirs, 150 cellules. Pour le chauffage, il compte huit fournaises. Deux grandes bouilloires fournissent la vapeur nécessaire à la cuisine, à l’eau chaude et à la buanderie. Toutes les pièces contenaient une bouche de ventilation.
Derrière l’asile se trouvaient la buanderie et les autres bâtiments de service, à droite un grand jardin potager; plus loin le cimetière des patients et également, une grande maison servant pour les personnes atteintes de maladies contagieuses.
Alors que les premiers patients arrivent, un nouveau contrat pour une période de vingt ans est signé entre les sœurs et le gouvernement.
Entre 1875 et 1890, on continue d’apporter de nouvelles améliorations comme les bâtiments annexes et ceux de la ferme. Le 23 février 1889, on inaugure même, par une petite fête où la presse montréalaise est invitée, les bâtiments maintenant totalement éclairés à l’électricité. Le dynamo, alimenté par une machine à vapeur, est installé dans la salle de la buanderie. Il faut dire que le nombre de patients augmentait d’année en année : il passe de 408 en décembre 1875 à 1246 en décembre 1889, la dernière année complète avant l’incendie.
Pour continuer d’améliorer la condition des patients et les installations nécessaires, sœur Thérèse effectue en 1889 un voyage épuisant en Europe, aux États-Unis et dans le reste du Canada. Avec les docteurs Bourque et Barolet, attachés à l’asile, sœur Madeleine du Sacré-Cœur et M. Lamothe, avocat de la communauté, elle visitera 40 asiles d’Angleterre, d’Écosse, de Belgique, de France, de l’Italie en plus de certains des États-Unis et du Canada. Les notes et les données recueillies serviront à la reconstruction de l’asile après l’incendie de mai 1890.
Neuf jours après l’incendie, sœur Thérèse prépare déjà les plans de quatorze pavillons temporaires (les «pavillons rouges») selon le modèle de ceux qu’elle a vus en Europe l’année précédente. En trois mois, les pavillons sont terminés. Deux cents ouvriers y travaillèrent d’arrache-pied. Il faut saluer le courage de cette grande femme qui, de retour d’Europe l’année précédente, avait été atteinte d’influenza et qui dut s’aliter de longs mois. D’ailleurs, elle était dans l’infirmerie la journée fatidique du 6 mai 1890.
Le plan des nouveaux pavillons est un plan à l’européenne adapté à la québécoise. On opte pour un système de chauffage plus efficace et une nouvelle forme d’isolation. L’extérieur des murs est entièrement recouvert de feuilles métalliques peintes en rouge d’où l’appellation populaire de «pavillons rouges». La communication entre les pavillons est assurée par de longs corridors avec pour conséquence la nécessité d’installer une seule cuisine et une seule pharmacie.
Ce n’est qu’en 1901 que les nouveaux bâtiments permanents de l’Asile seront finalement terminés.
Bibliographie
Bellay, A., Hospice de St-Jean-de-Dieu : asile de la Longue-Pointe, Montréal, Arbour et Laperle, 1892
Sœurs de la Providence, Un héritage de courage et d’amour : la petite histoire de l’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Longue Pointe, 1873-1973, Montréal, 1975
La Patrie, 7 et 8 mai 1890, La Minerve, 7 et 8 mai 1890, L’Opinion Publique, 20 août 1874, Le Monde illustré, 17 mai 1890
Notes
(1) Les sœurs tertiaires sont membres du Tiers-Ordre des Servites de Marie; leurs vœux sont temporaires et renouvelés annuellement. Elles servent d’auxiliaires aux religieuses de la Providence.
(2) «Si vous ne voulez pas obtenir le congé aujourd’hui, vous n’aurez pas besoin de le faire parce qu’il n’y aura pas d’asile demain.» New York Times, 12 mai 1890, Archives de l’Atelier d’histoire Mercier-Hochelaga-Maisonneuve
(3) A. Bellay, p. 23
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire